— J’en désespère ! déclara Weedon Scott.

Il était assis au seuil de la cabane de bois qu’il habitait, près de Dawson, et regardait Matt, le conducteur de ses chiens, qui leva les épaules en signe de découragement. Tous deux observaient Croc-Blanc, hérissé au bout de sa chaîne tendue, grondant férocement et se démenant, afin de se jeter sur l’attelage de son nouveau possesseur. Quant aux chiens de l’attelage, Matt leur avait donné quelques bonnes leçons, leçons appuyées d’un bâton, leur enseignant qu’il fallait laisser tranquille Croc-Blanc. Ils étaient, en ce moment, couchés à quelque distance, oublieux, apparemment, de l’existence même de leur acrimonieux compagnon.

— C’est un loup, et il n’y a nul moyen de l’apprivoiser ! reprit Weedon Scott.

— Gardons-nous, sur ce point, d’être trop absolus, objecta Matt. Peut-être, quoi que vous disiez, y a-t-il une part de chien en lui. Ce qui est certain, en tout cas, et je ne crains pas de l’affirmer…

Ici Matt s’arrêta et secoua la tête d’un air entendu, en regardant le Moosehide Mountain[1] comme pour lui confier son secret.

— Bon ! ne soyez pas avare de votre science, dit Scott un peu aigrement, après quelques minutes d’attente. Quelle est votre idée ? Crachez-nous cela.

Matt retourna son pouce vers Croc-Blanc.

— Loup ou chien, c’est tout un ; celui-ci a déjà été apprivoisé.

— Non !

— Je dis oui. N’a-t-il pas déjà porté des harnais ? Regardez à cette place, vous y verrez la marque qu’ils ont laissée sa poitrine.

— Matt, vous avez raison. C’était un chien de traîneau, avant que Beauty-Smith eût acquis l’animal.

— Et je ne vois pas d’obstacle à ce qu’il le redevienne.

— Qu’est-ce qui vous le fait penser ? demanda Scott avec vivacité.

Mais, ayant considéré Croc-Blanc, il reprit un air désolé.

— Nous l’avons depuis deux semaines déjà et, s’il a fait des progrès, c’est en sauvagerie.

— Il faudrait que vous me laissiez agir à mon gré. Il y a une chance encore que nous n’avons pas courue. C’est de le lâcher pour un moment.

Scott eut un geste d’incrédulité.

— Oui, je sais, reprit Matt. Vous avez essayé déjà de le détacher, sans seulement parvenir à vous en approcher. Mais voilà, vous n’aviez pas de gourdin.

— Alors, tentez le coup vous-même.

Le conducteur de chiens prit un solide bâton et s’avança vers Croc-Blanc enchaîné, qui se mit aussitôt à observer le gourdin avec la même attention que prête un lion en cage à la cravache de son dompteur.

— Regardez-moi ses yeux, dit Matt. C’est un bon signe. Il n’est pas bête et se garde bien de s’élancer sur moi. Non, non, il n’est pas sot.

Et comme l’autre main de l’homme s’approchait de son cou, Croc-Blanc se hérissa, gronda, mais se coucha par terre. Il fixait cette main du regard, sans perdre de vue celle qui tenait le gourdin suspendu, menaçant, au-dessus de sa tête. Matt détacha la chaîne du collier et revint en arrière.

Croc-Blanc pouvait à peine croire qu’il était libre. Bien des mois s’étaient écoulés depuis qu’il appartenait à Beauty-Smith et, durant cette période, il n’avait jamais connu un moment de liberté. On le détachait seulement lorsqu’on le menait au combat et, celui-ci terminé, on l’enchaînait derechef.

Il ne savait que faire de lui. Peut-être quelque nouvelle diablerie des dieux se préparait-elle à ses dépens. Il se mit à marcher lentement, précautionneusement, se tenant sans cesse sur ses gardes. Ce qui se passait là était sans précédent. À tout hasard il s’écarta des deux hommes qui l’observaient et se dirigea, à pas comptés, vers la cabane, où il entra. Rien n’arriva. Sa perplexité ne fit qu’augmenter. Il ressortit, fit une douzaine de pas en avant et regarda ses dieux, intensément.

— Ne va-t-il pas s’échapper ? interrogea Scott.

Matt eut un mouvement des épaules.

— C’est à risquer. C’est le seul moyen de nous renseigner.

— Pauvre bête ! murmura Scott, avec pitié. Ce qu’elle attend, c’est quelque signe d’humaine bonté.

Et, ce disant, il alla vers la cabane. Il y prit un morceau de viande, qu’il revint jeter à Croc-Blanc, lequel bondit à distance, soupçonneux et attentif.

À ce moment, un des chiens vit la viande et se précipita sur elle.

— Ici, Major ! cria Scott.

Mais l’avertissement venait trop tard. Déjà Croc-Blanc s’était élancé et avait frappé. Le chien roula sur le sol. Lorsqu’il se releva, le sang coulait, goutte à goutte, de sa gorge et traçait sur la neige une traînée rouge.

— C’est trop de méchanceté ! dit Scott. Mais la leçon est bonne.

Matt s’était porté en avant pour châtier Croc-Blanc. Il y eut un nouveau bond, des dents brillèrent, une exclamation retentit. Puis Croc-Blanc, toujours grondant, se recula de plusieurs mètres, tandis que Matt, qui s’était arrêté, examinait sa jambe.

— Il a touché droit au but, annonça-t-il, en montrant la déchirure de son pantalon, celle du caleçon qui était dessous, et la tache de sang qui grandissait.

— Il n’y a pas d’espoir avec lui, je vous l’avais bien dit, prononça Scott, avec tristesse. Après toutes nos méditations à son sujet, la seule conclusion à laquelle nous arrivions est celle-ci…

Tout en parlant, il avait, comme à regret, pris son revolver, en avait ouvert le barillet et s’était assuré que l’arme était chargée. Matt intercéda.

— Ce chien a vécu dans l’Enfer, Mister Scott. Nous ne pouvons attendre de lui qu’il se transforme instantanément en un bel ange blanc. Donnons-lui du temps.

— Pourtant, regardez Major.

Matt se tourna vers le chien, qui gisait dans la neige, au milieu d’une flaque de sang, et se préparait à rendre son dernier soupir.

— La leçon est bonne, c’est vous-même qui l’avez dit, Mister Scott. Major a tenté de prendre sa viande à Croc-Blanc, il en est mort. C’était fatal. Je ne donnerais pas grand’chose d’un chien qui ne ferait pas respecter son droit en pareil cas.

— Un droit tant que vous voudrez, mais il y a une limite.

Matt s’entêta :

— Moi aussi, j’ai mérité ce qui m’arrive. Avais-je besoin de le frapper ? Laissons-le vivre, pour cette fois. S’il ne s’améliore pas, je le tuerai moi-même.

— Je te l’accorde, dit Scott, en mettant de côté son revolver. Dieu sait que je ne désire pas le tuer, ni le voir tuer ! Mais il est indomptable. Laissons-le courir librement et voyons ce que de bons procédés peuvent faire de lui. Essayons cela.

Scott marcha vers Croc-Blanc et commença à lui parler avec gentillesse.

— Vous vous y prenez mal, objecta Matt. Ne vous risquez pas sans un gourdin.

Mais Scott secoua la tête, bien décidé à gagner la confiance de Croc-Blanc, qui demeurait soupçonneux. Quel événement se préparait ? Il avait tué le chien du dieu, mordu le dieu qui était son compagnon. Un châtiment terrible ne pouvait manquer. Hérissé, montrant ses crocs, les yeux alertes, tout son être en éveil, il se tenait en garde. Le dieu n’avait pas de gourdin. Il souffrit qu’il s’approchât tout près de lui. La main du dieu s’avança et se mit à descendre sur sa tête. Il se courba et tendit ses nerfs. N’était-ce pas le danger qui prenait corps ? Quelque trahison qui se préparait ? Il connaissait les mains des dieux, leur puissance surnaturelle, leur adresse à frapper. Puis il n’avait jamais aimé qu’on le touchât. Il gronda, plus menaçant, tandis que la main continuait à descendre. Il ne désirait point mordre cependant et il laissa le péril inconnu s’approcher encore. Mais l’instinct de la conservation surgit, plus impérieux que sa volonté, et l’emporta.

Weedon Scott s’était cru assez vif et adroit pour éviter, le cas échéant, toute morsure. Il ignorait la rapidité déconcertante avec laquelle, pareil au serpent qui se détend, frappait Croc-Blanc. Il poussa un cri, en sentant qu’il était atteint, et prit sa main blessée dans son autre main.

Matt était entré dans la cabane et en sortait avec un fusil.

— Ici, Matt ! cria Scott. Que prétends-tu ?

— Je vous ai fait une promesse, tout à l’heure répondit Matt, froidement. Je vais la tenir. J’ai dit que je le tuerais moi-même, à son prochain méfait.

— Non, ne le tuez pas.

— Je le tuerai, ne vous déplaise ! Regardez plutôt…

C’était maintenant au tour de Scott de plaider pour Croc-Blanc. Comment aurait-il pu s’amender en aussi peu de temps ? On ne pouvait déjà jeter le manche après la cognée. C’est lui Scott, qui s’était montré imprudent. Il était seul coupable.

Croc-Blanc, durant ce colloque, demeurait hérissé et agressif, décidé toujours à lutter contre le châtiment de plus en plus terrible qu’il avait conscience d’avoir encouru. Sans doute un traitement qui serait l’égal de celui que lui avait, un jour, infligé Beauty-Smith se préparait. Ce n’était plus toutefois vers Scott, mais vers Matt qu’il menaçait.

— Si je vous écoute, dit Matt, c’est moi qui vais être dévoré.

— Pas du tout, c’est à votre fusil, non à vous, qu’il en veut. Voyez comme il est intelligent ! Il sait, comme vous et moi, ce qu’est une arme à feu. Baissez votre fusil !

Matt obéit.

— Étonnant, en effet, s’exclama-t-il. Maintenant il ne dit plus rien. Cela vaut la peine de renouveler l’expérience.

Matt reprit son fusil, qu’il avait déposé contre la cabane, et Croc-Blanc de se remettre aussitôt à gronder. Matt reposa le fusil, fit mine de s’en éloigner, et les lèvres de Croc-Blanc redescendirent sur ses dents.

— Maintenant, dit Scott, faites jouer votre arme.

Matt revint vers le fusil, le prit et le porta lentement à son épaule. Le grondement et l’agitation recommencèrent, pour arriver à leur paroxysme lorsque le canon du fusil se mit à descendre et que Croc-Blanc vit qu’on le couchait en joue. À l’instant même où l’arme fut à son niveau, il fit un bond de côté et s’enfuit dans la cabane. Matt arrêta là l’expérience. Abandonnant son fusil, il se tourna vers son patron et dit avec solennité

— Je suis de votre avis, Mister Scott. Ce chien est trop intelligent pour être tué.

XIX . L'indomptable

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— J’en désespère ! déclara Weedon Scott.

Il était assis au seuil de la cabane de bois qu’il habitait, près de Dawson, et regardait Matt, le conducteur de ses chiens, qui leva les épaules en signe de découragement. Tous deux observaient Croc-Blanc, hérissé au bout de sa chaîne tendue, grondant férocement et se démenant, afin de se jeter sur l’attelage de son nouveau possesseur. Quant aux chiens de l’attelage, Matt leur avait donné quelques bonnes leçons, leçons appuyées d’un bâton, leur enseignant qu’il fallait laisser tranquille Croc-Blanc. Ils étaient, en ce moment, couchés à quelque distance, oublieux, apparemment, de l’existence même de leur acrimonieux compagnon.

— C’est un loup, et il n’y a nul moyen de l’apprivoiser ! reprit Weedon Scott.

— Gardons-nous, sur ce point, d’être trop absolus, objecta Matt. Peut-être, quoi que vous disiez, y a-t-il une part de chien en lui. Ce qui est certain, en tout cas, et je ne crains pas de l’affirmer…

Ici Matt s’arrêta et secoua la tête d’un air entendu, en regardant le Moosehide Mountain[1] comme pour lui confier son secret.

— Bon ! ne soyez pas avare de votre science, dit Scott un peu aigrement, après quelques minutes d’attente. Quelle est votre idée ? Crachez-nous cela.

Matt retourna son pouce vers Croc-Blanc.

— Loup ou chien, c’est tout un ; celui-ci a déjà été apprivoisé.

— Non !

— Je dis oui. N’a-t-il pas déjà porté des harnais ? Regardez à cette place, vous y verrez la marque qu’ils ont laissée sa poitrine.

— Matt, vous avez raison. C’était un chien de traîneau, avant que Beauty-Smith eût acquis l’animal.

— Et je ne vois pas d’obstacle à ce qu’il le redevienne.

— Qu’est-ce qui vous le fait penser ? demanda Scott avec vivacité.

Mais, ayant considéré Croc-Blanc, il reprit un air désolé.

— Nous l’avons depuis deux semaines déjà et, s’il a fait des progrès, c’est en sauvagerie.

— Il faudrait que vous me laissiez agir à mon gré. Il y a une chance encore que nous n’avons pas courue. C’est de le lâcher pour un moment.

Scott eut un geste d’incrédulité.

— Oui, je sais, reprit Matt. Vous avez essayé déjà de le détacher, sans seulement parvenir à vous en approcher. Mais voilà, vous n’aviez pas de gourdin.

— Alors, tentez le coup vous-même.

Le conducteur de chiens prit un solide bâton et s’avança vers Croc-Blanc enchaîné, qui se mit aussitôt à observer le gourdin avec la même attention que prête un lion en cage à la cravache de son dompteur.

— Regardez-moi ses yeux, dit Matt. C’est un bon signe. Il n’est pas bête et se garde bien de s’élancer sur moi. Non, non, il n’est pas sot.

Et comme l’autre main de l’homme s’approchait de son cou, Croc-Blanc se hérissa, gronda, mais se coucha par terre. Il fixait cette main du regard, sans perdre de vue celle qui tenait le gourdin suspendu, menaçant, au-dessus de sa tête. Matt détacha la chaîne du collier et revint en arrière.

Croc-Blanc pouvait à peine croire qu’il était libre. Bien des mois s’étaient écoulés depuis qu’il appartenait à Beauty-Smith et, durant cette période, il n’avait jamais connu un moment de liberté. On le détachait seulement lorsqu’on le menait au combat et, celui-ci terminé, on l’enchaînait derechef.

Il ne savait que faire de lui. Peut-être quelque nouvelle diablerie des dieux se préparait-elle à ses dépens. Il se mit à marcher lentement, précautionneusement, se tenant sans cesse sur ses gardes. Ce qui se passait là était sans précédent. À tout hasard il s’écarta des deux hommes qui l’observaient et se dirigea, à pas comptés, vers la cabane, où il entra. Rien n’arriva. Sa perplexité ne fit qu’augmenter. Il ressortit, fit une douzaine de pas en avant et regarda ses dieux, intensément.

— Ne va-t-il pas s’échapper ? interrogea Scott.

Matt eut un mouvement des épaules.

— C’est à risquer. C’est le seul moyen de nous renseigner.

— Pauvre bête ! murmura Scott, avec pitié. Ce qu’elle attend, c’est quelque signe d’humaine bonté.

Et, ce disant, il alla vers la cabane. Il y prit un morceau de viande, qu’il revint jeter à Croc-Blanc, lequel bondit à distance, soupçonneux et attentif.

À ce moment, un des chiens vit la viande et se précipita sur elle.

— Ici, Major ! cria Scott.

Mais l’avertissement venait trop tard. Déjà Croc-Blanc s’était élancé et avait frappé. Le chien roula sur le sol. Lorsqu’il se releva, le sang coulait, goutte à goutte, de sa gorge et traçait sur la neige une traînée rouge.

— C’est trop de méchanceté ! dit Scott. Mais la leçon est bonne.

Matt s’était porté en avant pour châtier Croc-Blanc. Il y eut un nouveau bond, des dents brillèrent, une exclamation retentit. Puis Croc-Blanc, toujours grondant, se recula de plusieurs mètres, tandis que Matt, qui s’était arrêté, examinait sa jambe.

— Il a touché droit au but, annonça-t-il, en montrant la déchirure de son pantalon, celle du caleçon qui était dessous, et la tache de sang qui grandissait.

— Il n’y a pas d’espoir avec lui, je vous l’avais bien dit, prononça Scott, avec tristesse. Après toutes nos méditations à son sujet, la seule conclusion à laquelle nous arrivions est celle-ci…

Tout en parlant, il avait, comme à regret, pris son revolver, en avait ouvert le barillet et s’était assuré que l’arme était chargée. Matt intercéda.

— Ce chien a vécu dans l’Enfer, Mister Scott. Nous ne pouvons attendre de lui qu’il se transforme instantanément en un bel ange blanc. Donnons-lui du temps.

— Pourtant, regardez Major.

Matt se tourna vers le chien, qui gisait dans la neige, au milieu d’une flaque de sang, et se préparait à rendre son dernier soupir.

— La leçon est bonne, c’est vous-même qui l’avez dit, Mister Scott. Major a tenté de prendre sa viande à Croc-Blanc, il en est mort. C’était fatal. Je ne donnerais pas grand’chose d’un chien qui ne ferait pas respecter son droit en pareil cas.

— Un droit tant que vous voudrez, mais il y a une limite.

Matt s’entêta :

— Moi aussi, j’ai mérité ce qui m’arrive. Avais-je besoin de le frapper ? Laissons-le vivre, pour cette fois. S’il ne s’améliore pas, je le tuerai moi-même.

— Je te l’accorde, dit Scott, en mettant de côté son revolver. Dieu sait que je ne désire pas le tuer, ni le voir tuer ! Mais il est indomptable. Laissons-le courir librement et voyons ce que de bons procédés peuvent faire de lui. Essayons cela.

Scott marcha vers Croc-Blanc et commença à lui parler avec gentillesse.

— Vous vous y prenez mal, objecta Matt. Ne vous risquez pas sans un gourdin.

Mais Scott secoua la tête, bien décidé à gagner la confiance de Croc-Blanc, qui demeurait soupçonneux. Quel événement se préparait ? Il avait tué le chien du dieu, mordu le dieu qui était son compagnon. Un châtiment terrible ne pouvait manquer. Hérissé, montrant ses crocs, les yeux alertes, tout son être en éveil, il se tenait en garde. Le dieu n’avait pas de gourdin. Il souffrit qu’il s’approchât tout près de lui. La main du dieu s’avança et se mit à descendre sur sa tête. Il se courba et tendit ses nerfs. N’était-ce pas le danger qui prenait corps ? Quelque trahison qui se préparait ? Il connaissait les mains des dieux, leur puissance surnaturelle, leur adresse à frapper. Puis il n’avait jamais aimé qu’on le touchât. Il gronda, plus menaçant, tandis que la main continuait à descendre. Il ne désirait point mordre cependant et il laissa le péril inconnu s’approcher encore. Mais l’instinct de la conservation surgit, plus impérieux que sa volonté, et l’emporta.

Weedon Scott s’était cru assez vif et adroit pour éviter, le cas échéant, toute morsure. Il ignorait la rapidité déconcertante avec laquelle, pareil au serpent qui se détend, frappait Croc-Blanc. Il poussa un cri, en sentant qu’il était atteint, et prit sa main blessée dans son autre main.

Matt était entré dans la cabane et en sortait avec un fusil.

— Ici, Matt ! cria Scott. Que prétends-tu ?

— Je vous ai fait une promesse, tout à l’heure répondit Matt, froidement. Je vais la tenir. J’ai dit que je le tuerais moi-même, à son prochain méfait.

— Non, ne le tuez pas.

— Je le tuerai, ne vous déplaise ! Regardez plutôt…

C’était maintenant au tour de Scott de plaider pour Croc-Blanc. Comment aurait-il pu s’amender en aussi peu de temps ? On ne pouvait déjà jeter le manche après la cognée. C’est lui Scott, qui s’était montré imprudent. Il était seul coupable.

Croc-Blanc, durant ce colloque, demeurait hérissé et agressif, décidé toujours à lutter contre le châtiment de plus en plus terrible qu’il avait conscience d’avoir encouru. Sans doute un traitement qui serait l’égal de celui que lui avait, un jour, infligé Beauty-Smith se préparait. Ce n’était plus toutefois vers Scott, mais vers Matt qu’il menaçait.

— Si je vous écoute, dit Matt, c’est moi qui vais être dévoré.

— Pas du tout, c’est à votre fusil, non à vous, qu’il en veut. Voyez comme il est intelligent ! Il sait, comme vous et moi, ce qu’est une arme à feu. Baissez votre fusil !

Matt obéit.

— Étonnant, en effet, s’exclama-t-il. Maintenant il ne dit plus rien. Cela vaut la peine de renouveler l’expérience.

Matt reprit son fusil, qu’il avait déposé contre la cabane, et Croc-Blanc de se remettre aussitôt à gronder. Matt reposa le fusil, fit mine de s’en éloigner, et les lèvres de Croc-Blanc redescendirent sur ses dents.

— Maintenant, dit Scott, faites jouer votre arme.

Matt revint vers le fusil, le prit et le porta lentement à son épaule. Le grondement et l’agitation recommencèrent, pour arriver à leur paroxysme lorsque le canon du fusil se mit à descendre et que Croc-Blanc vit qu’on le couchait en joue. À l’instant même où l’arme fut à son niveau, il fit un bond de côté et s’enfuit dans la cabane. Matt arrêta là l’expérience. Abandonnant son fusil, il se tourna vers son patron et dit avec solennité

— Je suis de votre avis, Mister Scott. Ce chien est trop intelligent pour être tué.



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